La gravelle de Montaigne
présenté par Michel
Chillot
Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592) a souffert de calculs rénaux à
partir de 1577 (il avait quarante trois ans) :
"mes reins ont duré un âge, sans altération; il y
en a tantôt un autre, qu'ils ont changé d'état" (Livre III, chapitre
XIII, page 1702).
Dans ses Essais, on retrouve des confidences sur cette maladie de la pierre,
la gravelle, qui lui causa beaucoup de soucis. Montaigne nous donne une
explication sur la formation des calculs:
"l'âge affaiblit la chaleur de
mon estomac ; sa digestion en étant moins parfaite, il renvie cette matière
crue à mes reins. Pouquoi ne pourra être à certaine révolution, affaiblie
pareillement la chaleur de mes reins ; si qu'ils ne puissent plus pétrifier
flegme et nature s'acheminer à prendre quelque autre voie de purgation"
(Livre III, chapitre XIII, page 1702).
Montaigne reprend la théorie admise par
Ambroise Paré (1509-1590): une digestion imparfaite laisse subsister des
humeurs qui sont cuites par un excès de chaleur:
"la caufe d'icelles eft
double, à fçauoir matérielle & efficiente.
La caufe matérielle, font
gros humeurs gluants, efpais & vifqueux, faits de cruditez caufées par
intempérature & exercices immoderez, principalement foudain après le paft
: & pour cette caufe les enfans font plus fubiets à cefte maladie que les
plus aagez, ainfi que l'on voit par experience.
La caufe efficiente, eft la
chaleur exceffiue, qui cofume la férifité fubtile,& la plus tressftre
demeure & fe feiche, ainfi que voyons es tuilles & briques eftre fait,
defquelles le feu confumant l'humidité, le refte fe tourne en pierre."
(chapitre XXXII page 519).
Montaigne a connu des épisodes de rétention
urinaire sur une lithiase enclavée dans l'urètre:
"L'opiniâtreté de mes
pierres, spécialement en la verge, m'a parfois jeté en longues suppressions
d'urine, de trois, de quatre jours : et si avant en la mort, que c'eût été
folie d'espérer l'éviter, voire désirer, vu les cruels efforts que cet état
m'apporte." (Livre III, chapitre IV, page 1308).
Dans son traité, Ambroise
Paré aborde cette complication dans son chapitre XXXVIII:
"La pierre
eftant fortie du corps de la vessie, & eftat demeuree au col d'icelle, ou à
la verge, lors faut que le Chirurgien fe garde bien de la repoulfer au dedans,
mais la mencra tant que faire fe pourra, avec les doigts à l'extrémité de la
verge, en y iettant huille d'amandes doulces, ou autres choses lubrefiantes. Et
fi elel defcend iufques à l'extrémité de la verge, & qu'elle y demeure,
la faut tirer avec petits crochets. Et fi on ne peut par de tels crochets
l'extraire, on mettra ceft instrument nommé tirefond avec fa canule en la verge
iufques au près de la pierre: puis on le tournera doucement, à fin qu'il
comminue la pierre & la mette en petites portions qui le fera aifément,
parceque le dit tirefond a fon extrémité en manière de foret."
Si cette
technique échoue, Ambroise Paré a une solution, qui fait frémir:
"D'abondant, pofant le cas qu'elle fuft fi groffe, ou ayant des afperitez,
& loing de l'extrémité de la verge, de façon qu'elle ne peuft eftre tiree,
& l'urine fuft fupprimee: adonc faut faire incifion (ce que i'ay plufieurs
fois fait) à colté de la verge, & et non au dessus, ny au dessous. Au
deffus, à raison d'une groffe veine & artere, qui pourroit eftre caufe de
flux de sang : au deffous n'eft conuenable, parce que la partie eft exangue,
& pource difficile à eftre confolidée, & auffi que l'urine ne
permettroit l'vnion eftre faite, parce qu'elle pafferoit par l'vlcère, &
tomberoit dans les leures de la playe.Et pour ces causes l'incision fera faite
sur la pierre à cofté, qui eft vne partie plus charneufe. Mais tu dois icy
noter qu'autnat que faire l'incision, il te faut lier la verge au dessus, &
bien pres de la pierre, pour la tenir cotrainte & fubiette: puis tirer affez
fort vers toy le prepuce, à fin qu'après l'incision, le cuir eftant relafché
retourne & couure ladite incifion, dont plus aifément & briefuetement
l'vnion & confolidation de la playe puis apres fe fera. Aptes tu tireras la
pierre par tel instrument."
Montaigne évoque le moment béni de
l'expulsion du calcul:
"mais est-il rien doux, au prix de cette soudaine
mutation ; quand d'une douleur extrème, je viens par le vidange de ma pierre,
à recouvrer, comme d'un éclair, la belle lumière de la santé" (Livre
III, chapitre XIII, page 1702).
Cependant, il n'oublie pas les douleurs atroces
qui ont précédées l'expulsion de la pierre:
"on te voit suer d'ahan,
pâlir, rougir, trembler, vomir jusques au sang, souffrir des contractions et
convulsions étranges, dégoutter parfois de grosses larmes des yeux, rendre les
urines épaisses, noires et effroyables, ou les avoir arrêtées par quelque
pierre épineuse et hérissée qui te point, et écorche cruellement le col de
la verge, entretenant cependant les assistants d'une contenance commune"
(Livre III, chapitre XIII, page 1699).
Dans son Journal de Voyage, il nous
fournit des renseignements sur ces crises de colique néphrétique et l'aspect
de ses calculs:
" elle était jaunatre par le dehors, et brisée au dedans
plus blanche" (25 octobre 1580 à Sterzing),
pierre expulsée après une
crise de colique néphrétique de deux ou trois heures - expulsion de
"force sable, et après une grosse pierre, dure, longue et unie, qui
arresta cinq ou six heures au passage de la verge" (23 décembre 1580 à
Rome)
Montaigne nous apprend que du 17 septembre 1580 au 31 mars 1581 soit 195
jours, il expulsé en une quinzaine de calculs. Il reprend à son compte le
primun non nocere:
"Je hais les remèdes qui importunent plus que la
maladie" (Livre III, chapitre XIII, page 1690).
A choisir entre une
privation et le risque d'avoir un calcul, il n'hésite pas:
"D'être sujet
à la colique, et sujet à m'abstenir du plaisir de manger des huîtres, ce sont
deux maux pour un. Le mal nous pince d'un côté, la règle de l'autre.
Puisqu'on est au hasard de se mécompter, hasardons-nous plutôt à la suite du
plaisir" (Livre III, chapitre XIII, page 1691).
Montaigne fréquenta les
cures thermales tant en France, Plombières, les stations pyrénéennes (Les
Eaux-Chaudes, Prechacq, Barbotan, Bangnères-de-Bigorre) qu'à l'étranger
surtout en Italie.
Montaigne mourut en le 13 septembre 1592 à l'âge de
cinquante neuf ans. Nous ne possédons pas de détail sur les causes de sa
maladie.
Références: