Médecine et Anthropologie

Denis BOMBARDIER
communication du 28/04/09

 

Les limites de l’intervention

Dans le temps qui m’est imparti, traiter d’un sujet aussi large ne me permet d’ouvrir qu’une petite fenêtre.
Parmi les limites:
- il y a d’une part le cadre AMMPPU qui s’adresse avant tout aux médecins
- et d’autre part mon travail quotidien en addictologie.
Mon objectif c’est de transmettre un regard et de valoriser le bien-fondé du travail en réseau.

Pour parler anthropologie, je ne vais donc pas me priver de puiser des exemples dans ces dérives de la consommation que sont les addictions. Comme le suicide et la dépression, le cancer, l’euthanasie, nous sommes là de toute évidence dans autant de faits de société qui impliquent la médecine et peuvent éclairer notre sujet.

Je vais vous proposer rapidement un peu d’histoire pour essayer de situer la pensée anthropologique, la genèse et l’évolution du domaine de l’anthropologie « médicale », à travers différents travaux et enfin décrire une pathologie et la mettre en lien avec le fait anthropologique.

Une précision toutefois, lorsqu’on parle d’anthropologie médicale, nous sommes dans une expression américaine développée dans les années soixante et soixante dix qui regroupe grosso modo : l’épidémiologie, l’étude des soins délivrés en institution, les recherches sur les problèmes de santé et l’ethnomédecine. Elle tentait de délimiter un champ qui devait lui permettre de créer un statut professionnel et donc de bénéficier de subventions.
L’école française depuis les années 80 parle plutôt d’une anthropologie de la maladie. Mais nous allons y revenir un peu plus loin.
L’anthropologie, c’est dire l’impact de la culture sur les comportements or cette culture, elle se manifeste a travers les images qui nous viennent spontanément à l’esprit, elle conditionne nos postures, elle nous oriente dans nos choix, elle nous fait croire à l’universalité de notre réalité et elle s’enracine aussi dans les gènes.
Cette culture nous vient de l’histoire individuelle et collective, elle vit, elle change, elle est très féconde. Sans diversité culturelle et donc d’éléments de comparaison nous ne saurions comprendre notre propre réalité, c’est un peu comme la biodiversité il faut la préserver.

Les racines

Avant tout il faut savoir que la médecine n’est pas née de l’empirisme, mais d’une réflexion sur l’homme et qu’elle s’est donc inscrite dans l’anthropologie avant la biologie.

Devons-nous nous soigner ? Telle était la question avant de se dire comment !
Pour Jackie PIGEAU (1) l’inconscient culturel médical occidental s’enracine dans l’antiquité grecque et latine, nous avons tous en mémoire HYPOCRATE ou FREUD mais avant lui deux courants ou écoles se sont affronté. D’un côté il y avait les monistes et de l’autre les dualistes.
Le premier, le courant moniste, était défendu par le stoïcien CHRYSIPE c’était se sentir un, partir d’un même lieu réel ou métaphorique, il défendait une approche globale de l’individu « Là ou on sent, on pense » sans doute s’enracinait-t-il dans l’approche animiste qui prévalait avant et encore aujourd’hui dans certaines sociétés.
La position dualiste a triomphé avec CICERON et GALIEN,  elle distingue le corps et l’âme, on peut se sentir deux, la pensée peut entrer en conflit avec la passion, la viscéralité.
On accorda alors au médecin le corps et au philosophe l’âme et la pensée. « Les médecins pouvaient s’occuper des maladies de l’âme, mais sans en faire une catégorie séparée des maladies du corps, âme et corps entretenaient pour le médecin des relations de cause à effet ».
Descartes se fera l’écho d’une empreinte religieuse et morale en hiérarchisant la bassesse du viscéral (l’animal) et la grandeur de l’âme.
Cette méthode d’approche consistant à dichotomiser est profondément ancrée en chacun de nous.
Nous comprendrons aisément que ces concepts analytiques de l’homme vont conditionner l’organisation de l’enseignement en médecine et celle des soins.
Toujours est-il que les approches vont évoluer au fil du temps, mais toujours en conservant la notion d’une dualité dans l’être et, à une époque, la pathologie était la manifestation d’une dysharmonie entre le corps et l’âme.
Ainsi les choses bougent au XVIème et XVIIème. Avec SYDENHAM (clin d’œil aux addictologues) et WILLIS l’approche se déplace pour considérer une interaction entre un être intérieur comme un double du corps extérieur. L’homme intérieur peut pousser jusqu’à envahir le corps extérieur, le mythe du loup-garou en est une illustration.
On retrouve cette réflexion chez Bichat, grand médecin du XIXème, qui développe l’idée d’une vie relationnelle ordonnée, symétriquement opposée à une vie intérieure qui elle est organique, confuse. On retrouve là l’honnête homme du néoclassicisme. On voit là une approche médicale qui n’est pas très éloignée des courants sociaux.
Il y a aussi l’avènement de la psychiatrie avec PINEL en 1801 qui s’occupe de nosographie et postule que les maladies de l’âme peuvent s’ordonner mais sans définir leurs origines. Selon PIGEAUD l’ambiguïté subsiste toujours. Il restait dans la position dualiste décrite plus haut.
Combiné avec la naissance de la sociologie et de la psychologie, c’est dans ce contexte que s’est développé l’anthropologie médicale.

Une brève histoire de l'anthropologie médicale

Nous le disions au début l’expression anthropologie médicale s’est généralisée autour des années soixante. Elle regroupe les travaux qui portent leur attention sur les conceptions de la maladie, les itinéraires des malades, le rôle des thérapeutes ou les rituels thérapeutiques en fonction du système socioculturel dans lequel ils s’insèrent.
Il ne faut pas perdre de vue qu’à l’instar de l’anthropologie du religieux ou de l’anthropologie du politique l’anthropologie médicale s’inscrit dans un enjeu pour la compréhension d’une anthropologie sociale globale.

Mais avant d’en arriver là, il y a eu les précurseurs comme RIVERS en 1924 dans « Medicine, Magic and Religion » ou CLEMENTS en 1932 ou encore ACKERKNECHT en 1946. Ils sont les premiers contributeurs d’une réflexion anthropologique de la maladie en s’affranchissant des catégories biomédicales.
Dégagés du débat corps et âme, Ils ont montré que, bien au-delà, la médecine traditionnelle est liée de façon systématique à d’autres aspects de la culture et de l’organisation sociale ---- ça semble évident aujourd’hui ---- qu’ils forment un ensemble cohérent et que les conceptions médicales sont fondées sur un corps de croyances cohérent et logique.
Ils y sont parvenu en montrant que la maladie, fait universel, est géré et traité suivant des modalités différentes selon les sociétés et que ces modalités sont liés à des systèmes de croyances et de représentations déterminés.
RIVERS a été le premier à tenter une classification des systèmes, il voyait la magie comme méthode de soin (l’homme qui manipule les forces de l’univers) opposé au religieux (la volonté d’un pouvoir surnaturel) ou encore à la vision naturaliste caractéristique de la médecine occidentale moderne ; laquelle cherche les relations de cause à effet existant entre les différents phénomènes naturels.
On reconnait aujourd’hui que ces systèmes ne sont pas aussi cloisonnés et qu’ils évoluent en se mélangeant les uns aux autres.
« Par exemple la maladie ôko chez les Bisa du Burkina Faso qui est désignée par la biomédecine comme l’onchocercose. Elle est traditionnellement imputée à l’action punitive des génies de l’arbre et considérée à ce titre comme une « maladie de l’arbre ». Les Bisa ont donc appris par les campagnes de l’OMS qu’elle était transmise par une mouche (la simulie) elle est donc devenue celle des génies de l’arbre qui envoient une mouche sur le corps du malade… L’explication biomédicale est ici intégrée au discours local en une sorte d’étiologie syncrétique ». (Exemple cité S. FAINZANG)

Les travaux se sont par la suite développés suivant deux orientations principales l’une fonctionnaliste, l’autre cognitive.

La fonctionnaliste consiste à rechercher la fonction sociale des représentations de la maladie. C’est en quelque sorte partir de la maladie pour expliquer le social. Par exemple en 1941 Irving HALLOWELL a montré que l’interprétation de la maladie remplissait une fonction de contrôle social dans les sociétés dépourvues d’institutions politiques et judiciaires spécialisées qui permettraient de régler des conflits et d’imposer le respect des normes. En 1946 ACKERKNECHT renchérissait je cite : « Dans la société primitive, la médecine magico religieuse fournit à moindre frais les services qui sont rendus dans la nôtre par les tribunaux, la police, les maîtres d’école, les prêtres et les soldats ».
N’en est il pas ainsi aussi chez nous avec les remèdes psychotropes dits de paix sociale ? Ainsi des recherches ont montré que la maladie en tant qu’événement malheureux affectant à la fois l’individu et le groupe, est génératrice de pratiques qui débordent strictement le champ médical.
Toujours chez les Bisa il y a le rituel du « zebom » (sortie du mort) lors des funérailles : le chamane révèle les causes du décès et met au jour, en vue de les résoudre, les conflits qui sont intervenus dans l’entourage du défunt. (FAINZANG).

L’orientation cognitive suit un mouvement inverse, au lieu de partir de la maladie pour expliquer un ensemble, elle se focalise sur les manières dont l’ensemble culturel perçoit et structure l’expérience. Elle cherche à identifier les éléments forgés par le contexte pour comprendre l’expérience de la maladie.
Le leader de ce mouvement est EVANS-PRITCHARD, il souligne avec une grande acuité la nécessité d’envisager la totalité socio-culturelle dans sa relation avec l’objet qu’est la maladie et le système médical d’une société et de rechercher les liens existant entre les différents aspects de la vie du groupe.

Finalement nous en arrivons à constater qu’il n’y a pas d’orientation fonctionnaliste ou cognitive qui existe l’une sans l’autre et que ces procédures relèvent d’avantage d’une méthodologie.
Disons que l’impossibilité de séparer comme s’ils étaient autonomes les faits de maladie et les phénomènes s’y rapportant (systèmes d’interprétation, recours thérapeutiques etc.…) des autres aspects ou facteurs de la vie sociale – parenté, religion, systèmes cognitifs etc. 
– est donc centrale pour les anthropologues qui prennent la maladie pour objet.

Dans l’anthropologie contemporaine, on ne parle plus de fonctionnaliste et de cognitif. Une réflexion se développe avec d’un côté ceux qui étudient les problèmes relatifs à la santé et à la maladie envisagés dans une perspective anthropologique et qui peuvent contribuer à enrichir la recherche médicale, et d’un autre côté il y a ceux qui travaillent l’anthropologie sociale et qui trouvent dans l’anthropologie médicale un terrain de réflexion privilégié.

Dans un esprit de rentabilité la majorité des travaux tentent aujourd’hui de saisir les facteurs culturels déterminant les comportements des malades. Ainsi l’anthropologue peut travailler en conjonction avec le médecin auquel il apporte la contribution de sa méthode et de ses données dans la mesure où les facteurs culturels ou ethniques peuvent aider à comprendre les causes, les caractéristiques, ou les conséquences de la maladie.

Byron GOOD a proposé un réseau sémantique de la maladie, c'est-à-dire « un réseau de termes, de situations qui sont associés à une maladie et qui lui donnent son sens pour celui qui en est atteint ». Avec KLEINMAN ils ont mené des études transculturelles et ont montré l’indispensable nécessité d’observer les groupes dans leur contexte.

A Taïwan par exemple ils ont montré qu’une communauté urbaine établissait des catégories nosologiques qui lui était propre avec ses patients, ses guérisseurs, ses remèdes etc.
Ou encore la maladie des nerfs en Amérique centrale qui est associée à la dislocation de la famille alors que l’idéal et la vie saine est fondée précisément sur son homogénéité.

Marc Augé a engendré un courant de pensé en France dans les années 80, il récuse la terminologie d’anthropologie médicale pour parler d’anthropologie de la maladie. Pour lui l’anthropologie médicale instaure des frontières trop distinctes. Il a souligné l’étroite intrication des conceptions du désordre biologique et du désordre social, il a montré que la maladie, en tant qu’événement individuel et social fait nécessairement l’objet d’une mise en forme symbolique.

Alan YOUNG a proposé trois approches différentes de la maladie définies par les mots anglais disease, Illness et sickness.
- La première disease est ainsi utilisé par référence aux états organiques et fonctionnels à la maladie telle qu’elle est identifiée par le modèle biomédical.
- La seconde, illness, renvoie à la perception d’une perturbation par le sujet de son vécu individuel ou à la définition psychologique qu’on peut en donner.
- Un troisième terme, sickness, est supposé définir plus justement ce à quoi s’attache l’anthropologie médicale et correspond à la définition socio-culturelle de la maladie.

Alan YOUNG y voit, et c’est intéressant pour nous, que par le passage de disease à illness il y a un processus d’accession à sickness et donc de socialisation. Autrement dit par le soin nous pouvons grandement contribuer à socialiser ou bien l’inverse est aussi vrai.

Ceux pour qui le dispositif de santé occupe une place liée à une notion structurante de leur organisation sociale le recherche là où ils émigrent bien entendu. Je me souviens d’avoir vu un ami ramener sa femme du bled et dont la première démarche, qui peut être interprété comme une démarche d’intégration, fut de lui faire faire le tour des services médicaux et tous les examens possibles et imaginables.

Enfin je ne voudrais pas faire le tour de la littérature, mais je voudrais tout de même parler d’Andreas ZEMPLINI dont les travaux me semblent très proches de ma propre façon d’aborder le sujet. Il associe des matériaux psychiatriques et des concepts psychanalytiques à l’anthropologie. Il décrit les processus persécutifs qui sous-tendent les systèmes d’interprétation de la maladie, elle serait régie par des mécanismes psychiques de projection et de persécution.
Pour simplifier, en Afrique bien souvent la cause de la maladie est un sort jeté par un rival ou l’appel d’un ancêtre, chez nous c’est la société, caractère qu’on retrouve d’ailleurs plus souvent en France qu’ailleurs lorsqu’on regarde l’Europe.
La seringue, dans bon nombre de cultures, bénéficie d’une image remarquable, le mode d’intrusion du médicament ferait échec à un mal qui se serait introduit tout aussi violemment.

En résumé, sur un cheminement de près de 2000 ans, du corps à l’âme, de l’individu jusqu’aux structures sociales, de l’établissement de norme à la socialisation, du désordre de l’un au désordre de l’autre, les auteurs nous ont montré combien tout était étroitement intriqué et que les formes étaient aussi diverses et variées que les sociétés ou les civilisations

Pour illustrer le regard anthropologique que l’on pourrait porter à une pathologie, parlons de la toxicomanie aux drogues dures.

Anthropologie et toxicomanie

Et pourquoi la toxicomanie ? :

1 Elle touche une population adolescente, du moins à l’entame ; la démarche est pulsionnelle et n’est pas soumise à une intention délibérée. L’expérience toxicomaniaque touche tous les profils de personnalité, elle s’enracine aussi bien dans les conflits intergénérationnels que dans des carences affectives.
La dépendance s’installe aussi chez certains et pas chez d’autres selon des facteurs endogènes et exogènes.
Nous sommes là dans des problématiques familiales et individuelles.

2 Il y a chez tout le monde une confusion entre la dépendance qui fonde la société ou la solidarité entre les uns et les autres --- et la dépendance qui désocialise.
Nous sommes là dans une confusion des représentations de la limite au niveau des masses.

3 Les recours aux produits pour lutter contre la souffrance psychique ne désigne pas seulement les drogues dures mais se décline en une foule d’autres produits et en premier lieu les benzodiazépines. Les drogues dures sont en cela une caricature, un exemple bien généralisable.
Avec le recours aux remèdes nous appelons là à l’arbitrage du médical !
Le mésusage d’un produit n’est-il pas sous-jacent dans près de la moitié des consultations en médecine de Ville ?

4 La frontière entre le légal et l’illégal est plus politique et géographique que biomédical.
En effet, il suffit de passer une frontière en Europe pour que l’illégal ne s’adresse plus au même produit.

5 Le politique a clairement versé le sujet dans le champ médical avec la loi de 70 qui présente le soin comme une alternative à la répression pour les usagers. Plus récemment il y a eu, avec la réduction des risques, un élargissement des institutions spécialisées à la médecine de Ville.

Entre parenthèse FAINZANG a mené des études qui ont montré que les spécialistes étaient plus souvent consultés pour des problèmes organiques alors que les généralistes l’étaient pour des problèmes socio-psychologiques. A propos pourquoi dis-t-on médecin généraliste ?

Bref l’aspect anthropologique du sujet parait déjà évident avant d’en avoir analysé le comportement.

Pour aller un peu plus loin dans la compréhension de ce qui se passe au cours du processus toxicomaniaque, servons nous de l’apport des psychanalystes, FREUD, Mélanie KLEIN, WINNICOTT, ANZIEU en particulier. Que les spécialistes présents m’excusent mais je me contenterai d’un survol.

Revenons à ce corps qui, à la naissance, est indistinct de celui de la mère et dont l’image va être liée au développement libidinal.

Les soins, la relation sont autant d’éléments qui vont petit à petit permettre au nourrisson de développer une conscience et une identité qui lui soit propre.

Bouche et succion sont un des premiers types de communication avec la mère sur le mode avaler et être avalé. C’est une des premières expériences de plaisir dont la réminiscence est provoquée par les rêveries associées à la succion du pouce, par le baiser amoureux… et par l’expérience toxicomaniaque. On peut dire en effet que sur sa planète l’individu retrouve des sensations similaires comme dans une régression.

Mais très tôt, le départ, l’absence de la mère va engendrer un processus de différentiation du bon et du mauvais, du dedans et du dehors qui va donner naissance à de l’inquiétude, mais aussi de l’agressivité. La peau délimitant le bon dedans du mauvais dehors. C’est cette peau que le Junk défonce d’ailleurs car elle est une entrave pour parvenir à ses fins.

Le dedans le dehors, le corps biologique le rêve, de l’introjection à la projection, de l’antiquité à ZEMPLENI en passant par BICHAT et Marc AUGE, ne retrouvons nous pas là la description des mêmes mécanismes transposés dans un registre différent ?
Ce constat est partagé avec Jean-Pierre LEBRUN psychanalyste Belge que j’entendais il y a peu à un congrès de psychanalyse et qui disait au cours d’un débat: « J’ai un ami anthropologue et quand je l’entends parler j’ai l’impression que nous disons la même chose ».

En accédant au symbolique l’homme a montré sa capacité de dépasser les frontières au gré de ses représentations. Est-il possible ici, pour illustrer ce propos, de passer sous silence les travaux de Michel FOUCAULT qui a magistralement décortiqué ce jeu qui va du politique au corps dans ce qu’il a appelé le pouvoir du bio médical et de la discipline sociale qu’il instaure ? Il appelait « archéologie » la reconstitution d’un champ historique où il mêlait différentes dimensions (philosophique, économique, scientifique, politique et plus)

Dans l’expérience toxicomaniaque les choses vont évoluer et s’accentuer. Avec la répétition et l’accoutumance, cette enveloppe, ce corps, qui est aussi celui de la mère fécondé par la seringue qui est défoncé pour donner naissance à cet imaginaire va se transformer en source exclusivement alimentaire. Ce corps devient synonyme de manque, l’existence de l’individu est ailleurs. Ce corps est l’Autre, les images parentales qui y sont plaquées vont se détériorer au même titre que les représentations sociales qu’elles véhiculent. Ce corps peut se détériorer cela importe peu puisque c’est l’Autre, lui il est hors de lui.

La question se pose alors : si la conséquence d’une addiction est de se couper du monde, pourrions-nous dire que la prise de drogue est une façon d’amener des questions fondamentale sur le sens de la vie et que ces questions ne pouvaient être posées autrement ?

Je vais donner à un psychiatre, une anthropologue et à un sociologue le soin de répondre. Une façon de mesurer le champ de chaque discipline.
Alain BRACONNIER le psychiatre dit: « La seule transgression possible, la seule violence possible, reste pour l’adolescent d’aujourd’hui l’utilisation et la transformation de son propre corps »

Pour l’anthropologue Marie DOUGLAS : « Le corps humain est pour chaque société le symbole de sa propre structure, agir sur lui par des rites c’est toujours un moyen en quelques sorte magique d’agir sur elle ».

Et pour le sociologue Hugo SOLMS : « la société sollicite par l’appel de la consommation les besoins pulsionnels égocentriques et favorise leur satisfaction immédiate. Elle alimente par la publicité les désirs phantasmatiques. Ainsi elle tend à brouiller la distinction entre l’imaginaire et le réel, à affaiblir les processus de réflexion et de raisonnement ».

La démarche thérapeutique ne consiste-t-elle pas à réintroduire réflexion et raisonnement ? A décortiquer, à se mettre à contre courant de processus globalisant ?

Finalement plutôt que de toxicomanie, nous devrions parler de décalcomanie parce que les toxicomanes reproduisent à la hauteur de leur individu des mécanismes de fonctionnement sociaux dans une tentative d’exorcisme sans savoir ce qu’ils exorcisent, ils se sacrifient malgré eux.

Et les médecins alors dans tout ça?

Disons que si la conceptualisation de la maladie comme sickness a permis de rendre compte du fait que les systèmes étiologiques sont porteurs de conceptions sociales et culturelles déterminées, la finalité des pratiques médicales qui en découlent ne se limite donc pas à la guérison puisqu’elles engagent l’ordre social tout entier.

Il faut dire que la médecine occidentale est plus concernée par le corps du malade et elle est sollicitée pour traiter le symptôme tandis que l’on demande à l’institution de fournir le diagnostic social et de proposer un traitement en relation avec l’étiologie de la maladie. Dans ces conditions la cure est une affaire collective dont l’enjeu dépasse largement la guérison du corps individuel puisqu’elle vise à remettre en ordre les rapports sociaux dans leurs multiples dimensions.

En ce sens nous sommes tous concernés, nous avons tous un rôle à jouer.

 

 

 

 

 

 

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