Artaud
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Sur l’électrochoc : le cas d’Antonin Artaud.

Par Florence de Mèredieu

 

présenté par Jean-Michel Bolzinger
Metz le 30.10.2004

 

Depuis leur invention et leur introduction en psychiatrie en 1938, les électrochocs ont attisé la plus vive des controverses. 
Leurs défenseurs avancent qu’il s’agit d’une thérapie parmi les plus efficaces et des plus sécuritaires. 
Leurs détracteurs les considèrent comme un outil de contrôle du comportement, un traitement dégradant et inhumain et mettent en avant des effets indésirables importants à type de perte de mémoire rétrograde et d’atteintes irréversibles au cerveau.

Mais qu’en pense le patient ? Le cas extraordinaire d’Antonin Artaud permet à Florence de Mèredieu de donner son point de vue dans un ouvrage très documenté.

Antonin Artaud est l’emblème du génie fou qui bien que psychotique a conservé une production littéraire et poétique de très bonne qualité jusqu’à sa mort.

Atteint de délire paraphrénique de type hallucinatoire chronique (1), Artaud est un grand consommateur d’Opium dont il devient dépendant, puis de Laudanum (2) avant de tester la mescaline au Mexique à 40 ans. A la suite d’une aggravation de son état délirant, il est interné 4 ans à Ville Evrard (3) au début de la guerre puis à Rodez où le Dr Ferdière lui applique une cinquantaine d’électrochocs. Il sort de l’asile en 1946 et rapidement le Dr Michel de M’Uzan diagnostique un cancer inopérable du rectum ce que confirmera le Pr Henri Mondor. Il meurt vraisemblablement d’une surdose d’hydrate de chloral le 4 mars 1948.(4) 

Une des caractéristiques du délire paraphrénique réside dans l’existence d'un énorme délire qui est comme juxtaposé à la réalité. Le délirant garde longtemps intacte et disponible une image relativement saine de sa personnalité lui permettant de prendre une certaine distance à l'égard de son délire dont il reste le maître. Ce délire particulier permettra à Artaud de créer une œuvre littéraire exceptionnelle simultanément à une vie de plus en plus marquée par la folie.

Il est somme toute, hospitalisé à de nombreuses reprises (9 ans en tout), et c’est finalement le Dr Ferdière, accompagnateur du mouvement surréaliste qui accepte de le prendre en charge à Rodez en novembre 42. C’est dans ce contexte qu’ont lieu les électrochocs, point de départ du livre de Florence de Mèredieu. Bien que dialoguant quotidiennement avec son psychiatre, Artaud lui écrit très fréquemment et le Dr Ferdière décide en 1976 d’éditer ces lettres sous le titre « Nouveaux écrits de Rodez ». 

En février 46 Artaud écrit p. ex.

« Je n'ai jamais perdu un atome de ma lucidité et il ne m'a jamais échappé un geste inconscient pendant mes 9 ans d'internement et même après les rouées de coups gratuits reçues au Havre, à Rouen ou a Sainte-Anne. Les seules pertes de conscience que j'ai subies et où pendant 2 mois chaque fois je ne savais plus ce que je faisais me sont venues des comas de l'électrochoc et c est pourquoi j'ai tellement insisté auprès de vous et des Dr Latrémolière et Dequeker pour que cela ne recommence plus jamais. »

Après avoir resitué l’électrochoc dans l’histoire de la psychiatrie, Florence de Mèredieu piste les répercutions physiques et psychiques de la sismothérapie sur Artaud ainsi que son impact sur son œuvre. En fait, dès les premières lignes, il apparaît clairement que l’auteur a choisi son camp

« L’institution psychiatrique, relayée par les autres institutions – familiales, politiques et policières – gère désormais ce qu’il est convenu d’appeler la santé mentale.»


Elle cite plusieurs textes où Artaud évoque son traitement:

« J’ai passé 9 ans dans un asile d’aliénés. On m’y a fait une médecine qui n’a cessé de me révolter. Cette médecine s’appelle électrochoc, elle consiste à mettre le patient dans un bain d’électricité, à le foudroyer, on le dépiaute nu et on expose son corps aussi bien externe qu’interne au passage d’un courant venu du lieu où on n’est pas et où on devrait être pour être là. » (5)

« Le Dr Ferdière m’a imposé 50 fois en 3 ans les affres de l’électrochoc afin de me faire perdre la mémoire de mon moi qu’il trouvait beaucoup trop conscient. » (6)

« Il n'aurait pas fallu me faire de l'électrochoc, parce que mon cher ami je suis en vérité un homme rassis et sans délire et que je ne sais trop quel mauvais vent vous a pris de me considérer tout à coup comme persécuté alors que je vous exposais techniquement dans une lettre les modalités occultes selon lesquelles le Mal impose sa biologie particulière à l'organisme humain, mais surtout parce que ce faisant vous m'avez démagnétisé donc mis en état de moindre résistance devant les assauts des forces pernicieuses qui nous guettent tous et qui sont cause de toutes nos maladies tant mentales que physiques en attaquant d'abord notre cerveau et notre système sympathique et nerveux. » (7)

Elle mentionne la fracture tassement de D8-D9, complication très fréquente (40% des cas) avant l’anesthésie curarisation. A l’époque d’Artaud, on n’anesthésiait pas les patients lors des électrochocs. 

Le reste du livre apparaît comme un réquisitoire contre l’électrochoc et la présentation qu’elle fait du Dr Ferdière en fait un personnage cruel et peu engageant.

A ce stade il est intéressant de lire en parallèle le livre de Sylvère Lotringer « Fous d’Artaud » dans lequel il interview le Dr Ferdière en 1984 et lui donne un droit de réponse. 

« Et bien oui ! Il a mangé à ma table, à midi, chez moi, à ma table personnelle. Ma femme a été un ange de patience. Inviter un type qui sort de cellule, qui se tient très mal à table, qui rote, qui pète, qui crache, ce n’est pas non plus très agréable (p.195)»

« Il (Artaud) m'accuse d’être un barbare, un bourreau…Tout médecin qui est passé dans un hôpital psychiatrique a été l’objet de cette réclamation là, cent fois, mille fois (…)
J’appartiens à un corps de métier qui est toujours attaqué. Si un malade se suicide, c’est de notre faute. Si nous le libérons trop tôt et que le surlendemain il tue quelqu’un, c’est de notre faute. (p.198)»

« J'ai fait beaucoup d'électrochocs dans ma vie, je suis responsable peut-être de trois ou quatre cent mille électrochocs, ceux que j'ai faits moi-même, ceux que j'ai fait faire par mes assistants, ceux que j'ai ordonné de faire dans les cliniques où je suis allé en consultation - ça doit être un nombre considérable - mais jamais je n'ai hésité une fois. Et j'en fais faire encore, bien entendu. Et tous les psychiatres en font actuellement, tous, parce que nous préférons guérir en huit jours une grande crise de mélancolie qui pourrait mener au suicide, plutôt que de laisser le malade pendant des mois et des mois dans des anti-dépresseurs que l'on change, que l'on varie, que l'on mêle à des anxiolytiques, à des somnifères et à des doses parfois considérables et dangereuses. » (p.224)

Florence de MEREDIEU est Maître de conférence à l'Université de Paris I, elle est historienne de l'art moderne et contemporain à la Sorbonne, le Dr Gaston Ferdière est un praticien de terrain et les points de vue sont évidemment résolument différents

Qu'en est il de la sismothérapie aujourd'hui? 

Quelles en sont les indications, les contre indications, les risques, les conditions techniques de réalisation? pour répondre à toutes ces questions, l’ANAES a publié un texte de recommandations très complet.

On y apprend que la sismothérapie est encore parfois utilisée en seconde intention après échec du traitement de référence dans des dépressions majeures , des accès maniaques, dans certaines schizophrénies, parfois dans le syndrome malin des neuroleptiques… 

La fréquence est de 2 séances par semaine, sous anesthésie et dans un cadre très réglementé.

Un très bon site sur la sismothérapie au Québec.

 

Il est bien difficile de conclure:

L'électro-convulsivothérapie a-t-elle été néfaste ou bénéfique à Artaud à une époque où les alternatives thérapeutiques étaient inexistantes, il est difficile de trancher. Philippe Soupault poète dadaïste puis surréaliste disait de lui:

 « La vie du poète Artaud fut un incendie que personne, même pas ses meilleurs amis et amies, ne pouvait éteindre, ni même circonscrire, ni même accepter. Il n’avait pas d’autre issue que la révolte. La révolte quotidienne, intégrale, définitive. »

Quoiqu'il en soit le délire n'est qu'une des expressions d'une grande souffrance intérieure qui a accompagné Artaud tout au long de son existence. Éteindre l'expression de la souffrance (en faisant taire le délire) ne supprime pas pour autant la souffrance que ce soit par une fulgurance électrique ou par une chimiothérapie moderne. Certains proposent alors de ne pas rajouter les effets secondaires d'un traitement en laissant le malade choisir sa thérapeutique (8).

 

 

Il suffit. Rentre au volcan.
Et nous,
Que nous pleurions, assumions ta relève ou demandions "Qui est Artaud?" à cet épi de dynamite dont aucun grain ne se détache,
Pour nous rien n'est changé,
Rien sinon cette chimère bien en vie de l'enfer qui prend congé de notre angoisse

[René Char. 1948]

 

 

 

Voici quelques références sur Artaud:

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Un pavé qui rassemble l'oeuvre éclatée: «Artaud, Œuvres»
édition établie par Evelyne Grossman, 
collection Quatro, ed. Gallimard. 2004
 

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Nouveaux écrits de Rodez
Coll. Imaginaire de chez Gallimard
 

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Sur l’électrochoc : le cas d’Antonin Artaud.
Par Florence de Mèredieu
Blusson éditeur 1996
 

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Fous d'Artaud
Par Sylvère Lotringer
Collection 10/vingt
Sens&Tonka éditeurs 2003
 

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Le Magazine littéraire  n° 434 de septembre 2004 consacré à Artaud
 

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Des ressources du web sont un peu décevantes 
 

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L'Extermination douce. La Cause des fous, 40 000 malades mentaux morts de faim dans les hôpitaux sous Vichy
par Lafont Max ...Lire
éditions Le Bord de l'eau, 2000, 271 pages
 

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Sur l'excellent site PsyCause, un très bon document  de Geneviève STAHL-ROUSSEAU Médecin Psychanalyste.
 

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Publication début 2006 de 'Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud' par Emmanuel Venet aux éditions Verdier...Lire

 

Notes

(1) La paraphrénie se situe entre les délires de la paranoïa et les formes délirantes de la schizophrénie.
La classification de KRAEPELIN distingue 4 types de paraphrénie selon la structure et les mécanismes du délire:
la paraphrénie expansive (ou manie délirante chronique), 
la paraphrénie systématique (ou psychose hallucinatoire chronique), 
la paraphrénie confabulante (ou délire d'imagination de DUPRE) 
et la paraphrénie fantastique                ....
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(2) En 1660 c'est à un médecin anglais, Thomas de SYDENHAM, que l'on doit une préparation encore prescrite aujourd'hui le célèbre "laudanum® de SYDENHAM ". ( une teinture d'opium safranée ). Cette préparation était employée comme sédatif de la douleur ou comme antispasmodique. Elle reste employée de façon occasionnelle en psychiatrie. 
 
Composition : 
 

Poudre d'opium officinal 100 g 
Safran incisé 50 g.
Essence de cannelle 1 g.
Essence de girofle 1 g.
Alcool à 30° 1000 g


80 gttes = 0,10 g. de poudre d’opium = 0,01 g. de morphine
 
L'élixir parégorique® ou teinture d'opium benzoïque que l'on utilisait comme antidiarrhéique est 20 fois moins concentré en morphine que la teinture d'opium safranée. 

 

Poudre d'opium 5 g.
Acide Benzoïque……..  5 g.
Essence d'anis 5 g.
Camphre 2 g.
Alcool à 60° 985 g.

  
0,05 g. de poudre d’opium = 0,005 g. de morphine
 
actuellement disponible sous le nom ELIXIR PAREGORIQUE LIPHA 50 % sol.buv ... retour  

(3) Pendant ce séjour, il endure des privations difficilement supportables. Pendant la guerre 40.000 aliénés sont morts de faim dans les asiles français. Sa mère aidée par Desnos parvient en pleine guerre à le transférer à Rodez où les restrictions sont moins sévères.
 voir le livre cité en bibliographie L'Extermination douce de Max Lafont     ...retour    

(4) Utilisé comme sédatif, calmant, hypnotique et anticonvulsif dans le tétanos la chorée l’éclampsie puerpérale. En raison de données toxicologiques ayant confirmé l'effet mutagène et cancérigène de l'hydrate de chloral chez l'animal, toutes les spécialités contenant encore de l’Hydrate de Chloral ont fait l’objet d’un retrait du marché en 2001. Il n’est plus utilisé qu’en dose unique, pour la prémédication de certains examens complémentaires chez l'enfant (EFR et sédation avant l'imagerie médicale (IRM ou scanner), lorsque l'anesthésie générale n'est pas réalisable.             ...retour

(5) Œuvres complètes. Gallimard éd. Tome XII-p. 212     ...retour

(6) ibid. XIV p 138       ...retour

(7) Ecrits de Rodez lettre du 12 juillet 1943        ...retour  

(8)  http://taiwaninfo.nat.gov.tw/Societe/1066622976.html

Si le lien est rompu, voici le texte:
taiwaninfo Lundi 20 octobre 2003 
Malades mentaux : se soigner ou pas ? 
 
L’office de la Santé publique s’apprête à tester, dans 5 hôpitaux, une nouvelle politique de santé, qui permettra aux patients souffrant de troubles psychiatriques d’être associés au choix de leur traitement, voire de le refuser, a récemment déclaré un haut fonctionnaire de l’office.
 
Le directeur général adjoint de l’office, Lee Long-teng, est intervenu lors d’une vente de charité organisée par Mental Health Foundation. 
 
Il a insisté sur la nécessité, pour les médecins, d’être à l’écoute de leur malades, d’évaluer régulièrement leur état de santé et de les consulter sur le traitement le mieux adapté. 
 
Il a également remarqué que la thérapie par l’art recèle de nombreuses possibilités. Hu Wei-herng, professeur au centre psychiatrique de Taipei, a rappelé, pour sa part, que beaucoup d’artistes célèbres ont souffert de troubles mentaux et que l’art permet d’exprimer ses émotions et de partager son expérience. 

 

 

 

 

 

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