Descartes
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Le cartésien et l’empirique

La circulation sanguine selon Descartes

 

présenté par Jean-Michel Bolzinger
Metz le 07 novembre 2004

 

Le langage courant semble avoir parfaitement intégré l’opposition entre médecine cartésienne et médecine empirique. Or il s’avère qu’à y regarder de plus près, si l’opposition existe bien, celle-ci recouvre des réalités qui sont à mille lieux de ce qu’on imagine.

 

L’irrationnel du cartésien

 

« Ce serait un puissant briseur de mythes, l’auteur qui parviendrait à défaire le lien établi entre l’adjectif ’cartésien’ et la notion de rationalisme. Une grave erreur historique serait ainsi effacée et on verrait disparaître un tic de langage bien superflu – l’invocation du patronage cartésien à propos de toute démarche impliquant apparemment quelque suite dans les idées. » (1)

Il fut une époque où la théorie prévalait sur l’expérience et où la médecine nageait dans la rhétorique. René Descartes (1596-1650) reste l’ultime grande figure de ce courant et représente probablement la plus mauvaise illustration du rationalisme.

Adepte de l’intuition, des rêves divinatoires et de la règle de l’évidence,  il énonce une théorie ‘a priori’ sous forme de principes ou ‘premières causes’ d’où est sensée se déduire la totalité des sciences. L’expérimentation éventuelle, lorsqu’elle confirme la théorie, n’a qu’un rôle second. Lorsqu’elle l’infirme, elle s’efface derrière l’a priori théorique.

Dans la 5° partie du « Discours de la méthode » (2) auquel tout cartésien aime se référer, il est tout à fait intéressant de lire « l'explication du mouvement du cœur et des artères » selon Descartes. Après la lecture de cet exposé, vous déciderez par vous même si, comme il nous le demande  « on jugera facilement de lui ce qu'on doit penser de tous les autres ».

A la même époque William Harvey (1578-1657) (3) prenait la question par l’autre bout, l’expérimentation d’abord, les discussions et conclusions prudentes ensuite.

Rappelons toutefois que Michel Servet (1510-1553) avait entrevu le système de la circulation sanguine près d'un siècle avant Harvey. Il fut brûlé comme hérétique par l’inquisition. (4)

Et si l’on poursuit l’archéologie il semble bien que la paternité de la description revienne à Ibn an-Nafis ( 1177-1257 ) qui exerça les fonctions de médecin chef à l’hôpital Nassiri du Caire. (5)

 

Deux contemporains de Descartes ne s’y sont pas trompés :

bullet Leibniz (1646-1716) a dit une fois en plaisantant : 

« Descartes a quitté Paris pour n’y plus rencontrer Roberval » 
(ce dernier était un représentant combatif de la nouvelle école en physique, expérimentateur prudent, se défiant des principes)

bullet Pascal (1623-1662) : 

« Descartes inutile et incertain »(6)

 

"Une révolution philosophique consiste à changer de locataires, une révolution intellectuelle consiste à inventer une nouvelle architecture".(7)

Si le concept du Cogito a constitué une révolution philosophique, Descartes n’a absolument pas perçu le décrochage qui se passait dans la succession des idées de son temps, dans « la refonte des cerveaux des hommes » dont parle Galilée dans son ‘Dialogue’ de 1632. Il est complètement passé à côté de révolution intellectuelle qui se passait sous ses yeux et persistait contre tous les savants de son temps à affirmer la prééminence absolue des principes a-priori.

 

Empirique signifie « entièrement fondé sur l’expérience »

 

L'empirisme est une doctrine faisant de toute connaissance le résultat de notre expérience sensible.

Bien qu’on oppose à tort ces deux courants, l’empirisme est en réalité très proche du rationalisme des philosophes continentaux (Leibniz et Kant en particulier) (8)

Ceci n’a pas échappé à Claude Bernard puisqu’il intitule un chapitre de l’« Introduction à l'étude de la médecine expérimentale »

III. La médecine empirique et la médecine expérimentale ne sont point incompatibles ; elles doivent être au contraire inséparables l'une de l'autre (9)

 

 

En guise de conclusion :

 

De trop nombreuses pratiques médicales reposent sur des « concepts » théoriques ne s’appuyant sur aucune expérimentation rationnelle. Ces pratiques ne méritent aucunement le noble qualificatif d’empirique.

La médecine fondée sur les preuves n’a heureusement rien de cartésienne, et tend vers le méthodique, la cohérence logique et la rigueur intellectuelle.

A l’aube de l’Evidence Based Medecine, de nombreuses interrogations existent, témoin celle de J. Ghisolfi du CHU Toulouse:  Médecine basée sur les preuves et médecine basée sur le bon sens : s'agit-il de deux notions antinomiques ? Regard sur la pédiatrie

Lors des « Journées de Techniques Avancées en Gynécologie-obstétrique, PMA, Périnatalogie et Pédiatrie » de 2002.(10)

 

Notes

(1) Descartes inutile et incertain . Jean François Revel. Stock ed. 1976
     et

(2) paragraphe 175 http://philosophons.free.fr/philosophes/descartes/textes/
descartes-discours_de_la_methode.htm

La divergence qui oppose Descartes à Harvey réside dans le rapport entre contraction et volume du cœur. 
- Harvey affirme que la contraction réduit le volume, 
- Descartes affirme qu’il y a alors dilatation du sang (principe de la chaleur) et que la « grosseur » est dans les faits augmentée. 
Descartes en appelle, alinéa XVIII de la Description, à l’expérience pour trancher. 
L’anatomie instaure le règne de l’expérimentation dans le corps et élève sa connaissance au niveau de la validation par une sorte de preuve. 
La dilatation étant le principe même du fonctionnement du corps selon Descartes, l’expérience ne peut rationnellement pas contredire le principe. 

(3) les idées clefs de Harvey :

1 - Il réfuta que la diastole est la phase active du cœur pendant laquelle ce dernier attire activement le sang.

2 - Il détruisit une autre idée : que la diastole artérielle, c’est à dire la dilatation de l’artère, est un phénomène lié à l’artère elle-même.

3 - Dans les chapitres VI et VII, il traita de la petite circulation. Il prit appui sur la circulation du fœtus où le poumon est court-circuité par le passage du sang à travers le trou de Botal et du canal artériel. La taille importante de ces voies et le fait que ces voies sont obstruées après la naissance imposent l’idée que, chez l’adulte et l’enfant, il faut une voie non moins importante et que cette voie ne peut être que l’artère pulmonaire.

4 - Dans le chapitre VIII, il ébaucha la notion de la grande circulation. Le raisonnement est simple: en admettant la petite circulation, il lui faut un circuit périphérique de retour, à défaut, nous aurions des veines vidées et des artères rompues par ce grand afflux de sang. Il commença à évoquer le mouvement circulaire.

5 - Dans les chapitres X, XI, XII et XIII, il décrivit des expériences de ligature pour prouver le retour veineux et le mouvement centripète du sang veineux.

ref: http://www.cardiologie-francophone.com/histoire/circulation.pdf

(4)   Sur Michel Servet: http://www.herodote.net/histoire10261.htm

(5) CF la thèsed’ At-Tataoui de la faculté de médecine de Fribourg de 1924

Dans ses commentaires du canon de la médecine d’Avicenne, Ibn an-Nafis écrit ceci :

1. « l’alimentation du cœur se fait ( non comme on l’avait cru jusque-là dans le ventricule droit mais ) par le sang qui coule dans les vaisseaux, ceux-ci irriguant le muscle cardiaque. » En quoi Ibn an-Nafis a découvert la circulation coronaire.

2. le sang pénètre dans le poumon pour s’y alimenter en air, non pour nourrir le poumon ( point que Harvey soulignera 400 ans après ).

3. Il existe entre l’artère pulmonaire et la veine pulmonaire des communications qui ferment le circuit à l’intérieur du poumon ( découverte que l’italien colombo revendiquera plus tard pour la sienne ).

4. La veine pulmonaire ne contient ni air ni 'suie' (qui de l’avis de Galien vont même jusqu’à parcourir la veine en sens inverse), mais du sang.

5. Les parois de l’artère pulmonaire sont plus épaisses que celles de la veine pulmonaire et formées d’une double couche.Remarquables découvertes d’Ibn an-Nafis que l’on a coutume d’attribuer à Servet, mais voici la plus sensationnelle :

6. La cloison du cœur n’est pas poreuse ! Le sang accomplit au contraire une révolution : « Il n’y a pas de communication entre les deux ventricules, car la cloison du cœur est étanche, elle ne possède ni ouverture visible, comme certains le croient, ni ouverture invisible, comme Galien l’a cru. Le cœur n’est absolument pas poreux, et le sang y est épais. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que ce sang, après s’être désépaissi, s’écoule nécessairement par l’artère pulmonaire dans le poumon pour l’irriguer et se mélanger à l’air qui le purifie. Il est certains également que ce sang parcourt ensuite la veine pulmonaire pour pénétrer dans le ventricule gauche après s’être mélangé à l’air…. » 

(6) (Pensées fragment 78 Ed. Brunschvicg)  

(7) Descartes inutile et incertain . Jean François Revel Coll. Bouquin p.761

(8) http://fr.wikipedia.org/wiki/Empirisme

(9) « Introduction à l'étude de la médecine expérimentale » (1865) 
disponible en version numérisée :
3°partie, Chapitre IV. - Des obstacles philosophiques que rencontre la médecine expérimentale. http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales
/classiques/bernard_claude/intro_etude_medecine_exp/intro_etude.html

   

(10) http://www.lesjta.com/article.php?ar_id=458 

 

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