Jean Itard
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Mémoire et Rapport sur Victor de l’Aveyron

par Jean Itard (1774 -1838)

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présenté par J.M.Bolzinger
Metz le 4 août 2007

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Jean Marc Gaspard Itard est né le 24 avril 1774 à Oraison en Provence. Médecin, il entra à l'hôpital militaire de Toulon en 1791 pour ne pas faire la guerre. Nommé chirurgien au Val de Grâce à 22 ans en 1796, il suivit l'enseignement de Pinel à la Salpêtrière.

En 1793, pendant le siège de Toulon il fut l’assistant de Vincent Arnoux, directeur de l’hôpital militaire et ami de ses parents. Il prit goût à la médecine et suivit à partir de 1795 les cours de chirurgie de Larrey, initialement à Toulon, puis à Paris, au Val de Grâce, où, après avoir réussi le concours de chirurgien de deuxième classe, il obtint en 1798 un poste d’assistant lui permettant de poursuivre son cursus universitaire.

A 26 ans (1800) alors qu'il n'avait encore pas terminé ses études, le directeur de l’Institution impériale des Sourds-muets lui proposa de devenir son médecin-chef. Il le resta jusqu'à sa mort à l'âge de 64 ans (1838).

En 1801 Itard accueillit “Le sauvage de l’Aveyron”, un enfant de 12 ans découvert deux ans plus tôt en lisière de la? forêt de la Caune dans laquelle il paraissait avoir survécu seul après avoir été abandonné vers l'âge de 5 ans. Il ne comprenait pas le langage des hommes et pour Pinel, Victor(1) n’était qu’un arriéré mental, incapable de progrès. Son allure était curieuse, il se balançait, ne pouvant pas se fixer, il mordait et criait. Il différenciait mal les odeurs, percevait des goûts, entendait les bruits ayant un rapport avec ses besoins, était particulièrement redoutable quand il avait faim, et regardait la lune en geignant.

Jean Itard grand lecteur de philosophie était convaincu que l’homme devient homme par la culture et l’éducation et sur ce principe décida d'entreprendre l'éducation de Victor afin de tenter de l'insérer dans la société. Il va sans dire que ce pari pédagogique et philosophique allait radicalement à l'encontre de l’opinion scientifique de l'époque.

Je ne partageai point cette opinion défavorable ; et malgré la vérité du tableau et la justesse des rapprochements, j'osai concevoir quelques espérances. Je les fondai moi-même sur la double considération de la cause et de la curabilité de cet idiotisme apparent (...)

J'augurai favorablement pour le succès de mes soins. En effet, sous le rapport du peu de temps qu'il était parmi les hommes, le Sauvage de l'Aveyron était bien moins un adolescent imbécile qu'un enfant de dix ou douze mois, et un enfant qui aurait contre lui ces habitudes antisociales, une opiniâtre inattention, des organes peu flexibles, et une sensibilité accidentellement émoussée. Sous ce dernier point de vue, sa situation devenait un cas purement médical, et dont le traitement appartenait à la médecine morale, à cet art sublime créé en Angleterre par les Willis et les Crichton, et répandu nouvellement en France par les succès et les écrits du professeur Pinel.

Cinquante ans plus tôt, vers 1750, Diderot, Condillac, Locke, les philosophes des lumières avaient raisonné sur l'esprit humain en se demandant de quelle manière l'homme acquiert ses connaissances, comment il parvient à parler et quel est le rôle de la société dans son développement. Ils rêvaient d'isoler des nouveaux-nés de tout contact humain afin d'observer leur développement intellectuel et linguistique et pour déterminer ce que l'homme doit à ses propres capacités, d'un côté, et à son éducation, de l'autre. (2) L'apparition de l'enfant sauvage était donc philosophiquement bien préparée. En réalité, ils raisonnaient abstraitement, n'ayant pour seul point d'appui que l'aveugle opéré de la cataracte par Cheselden (3).

Jean Ytard reprit ce questionnement de façon expérimentale avec une minutie très cartésienne. Il élabora des protocoles expérimentaux et les testa régulièrement. Même lorsqu'une expérience semblait un succès,il se disait qu'elle avait peut être réussi pour de mauvaises raisons, aussi contrôlait il ses expériences quitte à démontrer que le succès observé n'était qu'apparent.

Le livre dont il est question ici, relate la succession des étapes traversées pendant les années de la prise en charge psycho pédagogique. Il est disponible en version numérique téléchargeable sur l'excellent site de 'La bibliothèque numérique Les Classiques des sciences sociales' de l'Université du Québec à Chicoutimi.

je réduisis à cinq vues principales le traitement moral ou l'éducation du Sauvage de l'Aveyron.

PREMIÈRE VUE : L'attacher à la vie sociale, en la lui rendant plus douce que celle qu'il menait alors, et surtout plus analogue à la vie qu'il venait de quitter.

DEUXIÈME VUE : Réveiller la sensibilité nerveuse par les stimulants les plus énergiques et quelquefois par les vives affections de l'âme.

TROISIÈME VUE : Étendre la sphère de ses idées en lui donnant des besoins nouveaux, et en multipliant ses rapports avec les êtres environnants.

QUATRIÈME VUE : Le conduire à l'usage de la parole en déterminant l'exercice de l'imitation par la loi impérieuse de la nécessité.

"Si j'avais voulu ne produire que des résultats heureux, j'aurais supprimé de cet ouvrage cette quatrième vue, les moyens que j'ai mis en usage pour la remplir, et le peu de succès que j'en ai obtenu. Mais mon but est bien moins de donner l'histoire de mes soins que celle des premiers développements moraux du Sauvage de l'Aveyron, et je ne dois rien omettre de ce qui peut y avoir le moindre rapport"

CINQUIÈME VUE : Exercer pendant quelque temps sur les objets de ses besoins physiques les plus simples opérations de l'esprit en déterminant ensuite l'application sur des objets d'instruction

Cinq ans plus tard Jean Itard écrivit une lettre au ministre de l'intérieur afin de rendre compte des progrès accomplis:

Entre cette existence moins qu'animale et l'état actuel du jeune Victor, il y a une différence prodigieuse, et qui paraîtrait bien plus tranchée si, supprimant tout intermédiaire, je me bornais à rapprocher vivement les deux termes de la comparaison.

Dans cette lettre il détailla le développement des fonctions de sens, celui des fonctions intellectuelles, celui des facultés affectives enfin? avant de conclure ainsi:

(...) sous quelques points de vue qu'on envisage cette longue expérience, soit qu'on la considère comme l'éducation méthodique d'un homme sauvage, soit qu'on se borne à la regarder comme le traitement physique et moral d'un de ces êtres disgraciés par la nature, rejetés par la société, et abandonnés par la médecine, les soins qu'on a pris de lui, ceux qu'on lui doit encore, les changements qui sont survenus, ceux qu'on peut espérer, la voix de l'humanité, l'intérêt qu'inspirent un abandon aussi absolu et une destinée aussi bizarre, tout recommande ce jeune homme extraordinaire à l'attention des savants, à la sollicitude de nos administrateurs et à la protection du gouvernement.

Victor vécut jusqu'à l'âge de 39 ans chez Mme Guérin qui avait assisté Itard dans l'éducation de son élève et qui le garda chez elle une fois les soins d'Itard achevés.

François Truffaut réalisa une adaptation de cette histoire dans son film "L'enfant sauvage" titre d'une parfaite rigueur étymologique puisque l'enfant (infans) est celui qui ne parle pas et le « sauvage » vient de salvaticus puis silvaticus dérivés de silva: la forêt.

bullet http://www.cndp.fr/tice/teledoc/dossiers/dossier_sauvage.htm

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(1) D'où vient ce prénom Victor?
"Un jour qu'il était dans la cuisine occupé à faire cuire des pommes de terre, deux personnes se disputaient vivement derrière lui, sans qu'il parût y faire la moindre attention. Une troisième survint qui, se mêlant à la discussion, commençait toutes ses répliques par ces mots : Oh ! c'est différent. Je remarquais que toutes les fois que cette personne laissait échapper son exclamation favorite : oh ! le Sauvage de l'Aveyron retournait vivement la tête. Je fis, le soir, à l'heure de son coucher, quelques expériences sur cette intonation, et j'en obtins à peu près les mêmes résultats. Je passai en revue toutes les autres intonations simples, connues sous le nom de voyelles, et sans aucun succès. Cette préférence pour l'o m'engagea à lui donner un nom qui se terminât par cette voyelle. Je fis choix de celui de Victor. Ce nom lui est resté, et quand on le prononce à haute voix, il manque rarement de tourner la tête ou d'accourir."page 31.

(2) Cette thématique n'était pas neuve puisqu'on la retrouve sous la plume d'Hérodote, dans L'enquête, II, 2.
Traduction A. Barguet, Gallimard, Paris, 1964

" Avant le règne de Psammétique, les Égyptiens se croyaient le peuple le plus ancien de la terre. Mais quand Psammétique devint roi, il voulut savoir quel peuple méritait vraiment ce titre ; et depuis ce temps, les Égyptiens pensent que les Phrygiens les ont précédés, s'ils sont eux-mêmes plus anciens que tous les autres peuples. Toutes les recherches de Psammétique pour découvrir un moyen d'apprendre quel peuple était le premier apparu sur terre étant demeurées vaines, il imagina ce procédé : il fit remettre à un berger deux nouveau-nés, des enfants du commun, à élever dans ses étables dans les conditions suivantes : personne, ordonna-t-il, ne devait prononcer le moindre mot devant eux ; ils resteraient seuls dans une cabane solitaire et, à l'heure voulue, le berger leur amènerait des chèvres et leur donnerait du lait à satiété, ainsi que tous les soins nécessaires. Par ces mesures et par ces ordres, Psammétique voulait surprendre le premier mot que prononceraient les enfants quand ils auraient dépassé l'âge des vagissements inarticulés. Il en fut ainsi ; pendant deux ans, le berger s'acquitta de sa tâche, puis un jour, quand il ouvrit la porte et entra dans la cabane, les enfants se traînèrent vers lui et prononcèrent le mot "bécos" , en lui tendant les mains, c'est, chez les Phrygiens, le nom du pain. Les Égyptiens s'inclinèrent devant une pareille preuve et reconnurent que les Phrygiens étaient plus anciens qu'eux. "

Ce sont les prêtres d'Héphaistos (Ptah) de Memphis qui auraient raconté cette histoire à Hérodote. Celui ci ajoute avoir appris des Grecs que le roi fit couper la langue aux femmes à qui il confia les enfants.

(3) Cheselden (W.)
Chirurgien né en 1688 à Burrow (Leicester), mort à Londres en 1752, était chirurgien de l'hôpital de Chelsea. Il a publié des traités sur l'anatomie (1713), sur la Taille de la pierre (1723), sur l'Ostéographie (1732). Il est surtout connu? pour avoir réalisé la première opération de la cataracte sur des aveugles-nés. En 1728, il rendit la vue par ce procédé à un jeune homme de 14 ans, et détailla les progrès du nouveau sens que ce jeune homme venait d'acquérir, dans un mémoire inséré dans les "Transactions philosophiques".

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