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Le syndrome de Nietzsche
présenté par 24 janvier 2004
Une fois n'est pas coutume, nous allons nous plonger dans un cas clinique: Le début de ces notes remonte à l’année 87. Nous sommes en présence d’un homme de 43 ans (né en 44), célibataire, prof de philo à l’université. Il est toujours vêtu avec élégance, finement chaussé, une grande cravate de soie nouée avec une négligence artistique. Il présente plusieurs ordres de symptômes qui lui gâchent littéralement l’existence (démission et invalidité depuis 79)
Le cas clinique relaté ci dessus est celui de Friedrich Nietzsche, né en 1844 et mort en 1900. L’étonnante précision du recueil symptomatique s’explique par la volumineuse correspondance qu’il a entretenue jusqu’à sa détérioration mentale irréversible en janvier 1889 Deux ans après le tableau relaté ci dessus, Nietzsche perdit la raison. Les 11 dernières années de son existence se passèrent dans un état d’aliénation mentale, véritable effondrement apocalyptique d’un des plus grands philosophes de son temps qui laissa une œuvre prodigieuse. Aurait il évité cette apocalypse s’il avait reçu les thérapeutiques modernes? (1) On a longtemps pensé que Nietzsche avait développé une paralysie générale consécutive aux deux syphilis qu’il avait mentionnées. Une thèse récente de Françoise S. qui a servi de base à un livre du Pr Jacques Rogé " Le syndrome de Nietzsche ", récuse formellement ce diagnostic
Quelques autres grands personnages psychotiques L’œuvre du musicien Robert Schumann montre l’extraordinaire relation entre une psychose maniaco-dépressive et la productivité intellectuelle tout comme le montre la production littéraire de plusieurs grandes figures de la littérature comme
Il est intéressant de s’interroger sur ce que serait devenue la production artistique de ces personnages s’il avaient été traités? Il est vraisemblable que le patrimoine artistique et littéraire perdra beaucoup de la normalisation thymique des psychotiques intellectuellement brillants. Mais quel thérapeute fou donnerait la préférence à l’œuvre plutôt qu’à la délivrance de ces pauvres malades des démons qui les hantent. Karl Jasper, médecin psychiatre et philosophe, a publié un ouvrage remarquable sur les relations entre la psychose et la production artistique de quatre autres grands personnages:
La folie disqualifie t’elle les productions intellectuelles et artistiques ou à l’inverse les favorise t’elle ? Ces œuvres ne sont elles que " le béton tchernobylien censé contenir les radiations de la folie " ou doit on adhérer à l’idée de Jasper qui écrit :
Mais pas plus qu’on ne pense à la blessure de l’huître en admirant la perle, on ne songe à la folie, qui fut peut être une condition de leur existence, en subissant le rayonnement des chefs d’œuvre et la force vitale qui en émane.
Les 4 contresens à éviter à la lecture de l’œuvre de Nietzsche :
Pendant de nombreuses années, on a dit et répété que Nietzsche avait contracté une syphilis et qu'il avait évolué vers une paralysie générale. Grâce au livre de Jacques Rogé nous disposons désormais d'un diagnostic rétrospectif autrement plus plausible. Je vous engage à lire ce livre passionnant:
(1) Les sels de Lithium et la PMD Même s'il ne résume plus l'intégralité de la prise en charge médicamenteuse de la PMD, le traitement par les sels de Lithium a bouleversé le destin souvent tragique des maniaco dépressifs et sa découverte mérite d'être racontée : En 1839, Berzélius reconnaît le Lithium. Et dès la fin du XIX° siècle on le recommande comme sédatif. Les graves intoxications qui en découlent le font très vite oublier. En 1949, l'australien John Cade s'attaque au traitement des accès maniaques et part sur l'idée que l'urée est responsable de ces troubles. Il cherche à contrebalancer l'action de l'urée avec l'acide urique. Mais comme l'urate de lithium est plus soluble que l'acide urique, il injecte ce sel à des cobayes et merveille, l'urate de lithium calme effectivement les rongeurs. Fort heureusement, Cade était un petit futé et s'interrogea sur l'élément responsable de l'action et réalisa que comme le carbonate de lithium était lui aussi actif, ce ne pouvait être que le lithium qui calmait les cobayes. En fait, comme les cobayes n'étaient nullement maniaques, c'est sans doute parce que le lithium rendait les bestioles malades qu'il les calmait. Sur ces bases fausses, Cade décide de traiter des patients maniaques et c'est le succès, d'une ampleur inattendue. Non seulement le lithium calme les accès maniaques mais il prévient les récidives, qu'elles soient maniaques ou dépressives. Les publications de Cade ne furent pas prises au sérieux et ce n'est qu'en 1954 que le danois Mogen Schou confirma ces observations et réussit finalement à convaincre la communauté scientifique de l' efficacité " inexpliquée mais réelle " du Lithium (2) Emmanuel Swedenborg vécut de 1688 à 1772. Il eut une grande réputation de savant et occupa en Suède des postes importants jusqu’à l’âge de 55 ans où il décida d’abandonner le monde des sciences pour s’adonner à la théosophie et à la religion. Jasper explique que la seconde partie de la vie de Swedenborg correspond à un vaste système hallucinatoire schizophrénique pendant laquelle la peur et l’euphorie furent talentueusement sublimées dans une œuvre où apparaissent l’effroi religieux et la félicité métaphysique. (3) explication que l'on doit à Malraux. (4) Nietzsche par Gilles deleuze. PUF 12° éd. 1999 p.24S (5) ibid p38. (6) Ecce Homo. Avant propos §1 et 2. (7) L'Anti-Oedipe de Gilles Deleuze et Felix Guattari. p. 156 et ID p.334.
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