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La Cage aux fous
Présenté par
Hubert Prolongeau, journaliste au Nouvel Observateur, écrivain, a voulu relever le pari de se coltiner "sans filtre", au quotidien d'un hôpital psychiatrique d'aujourd'hui. Par subterfuge il s'y est fait admettre comme un patient ordinaire ; il a écouté, observé, déambulé, dans cet univers à l'inquiétante étrangeté, pour explorer cette parenthèse qui de tout temps fascina ceux qui, bien qu'appartenant au monde de la normalité, revendiquent leurs faiblesses et admettent leur part obscure.
Candide roué ou nouvel Albert Londres, c'est selon, le journaliste s'est trouvé immergé, volontairement, brutalement, autant que brièvement, au cœur de la souffrance humaine, débusquant lucidement dans cet enfer clos, chroniquement enfumé, qui sécrète une insignifiance morne, les mesquins plaisirs répétitifs de ceux (soignants et soignés). Qui savent que leur destin se jouera là pour longtemps. Il a croisé des sujets en proie à l'angoisse absolue et aux frustrations accumulées qui ne peuvent déboucher que sur des crises clastiques à même de justifier rétroactivement la poursuite de l'hospitalisation sans consentement. Sommes-nous si transparents, si formatés déjà, si conformés et malades institutionnellement, "nous les soignants", pour qu'en quelques journées seulement le persan Hubert Prolongeau capte et traduise si bien cette poisseuse atmosphère d'asile, ce temps plus que circulaire, concentrique, ces noires désespérances entretenues dans des cerveaux alourdis par les neuroleptiques que toutes les normes ISO de la terre, tous les protocoles suintant des murs et proliférant sur le terreau de la pénurie, tous les cercles vertueux de la qualité-sur-le papier ne pourront éclaircir.
Ce texte pourra nourrir des vocations : les paraphrènes se diront journalistes, les pervers pourront se dire "voilà où je veux travailler", les explorateurs potentiels noteront pour un séjour initiatique ultérieur l'utopique position (au sens propre) de ce continent gris et flou demeuré immuable, vierge de toute humanité quelles que soient les réformes, c'est ça la psychose ! Tel qu'il fut présenté au public (le Nouvel Observateur n°1902, mai 2001) cet article choqua et suscita la polémique ; des lettres indignées furent écrites, y compris par des soignants ne comprenant pas la démarche du journaliste, des abonnements à la revue se virent résiliés illico. Au lieu d 'effectuer une coûteuse visite d'accréditation menée au pas de charge (TGV aller-retour+ hôtel***+ restaurant ***) ou de croiser laborieusement une évaluation verticale biaisée avec une évaluation transversale sommaire au moyen d'un logiciel plombé, si nos décideurs désirent connaître l'état des lieux exact de la psychiatrie, peut-être suffirait-il simplement qu'ils se présentent systématiquement, comme le fit Hubert Prolongeau, un soir brumeux à l'accueil sursaturé des hôpitaux psychiatriques du pays? Comparer le coût d'une journée d'hospitalisation en psychiatrie au coût d'une journée d'un accréditeur. On a bien écrit une "Journée d'un scrutateur" (2), c'est déjà une démarche évaluative. Certains de nos patients, voyageurs pathologiques invétérés, sont déjà capables, eux, de nous restituer à la demande un guide Gault-Millau des services de psychiatrie et de s'échanger entre eux les bonnes adresses. (1) " Les Spartiates saisissaient les enfants mal faits et les précipitaient du haut d'un rocher. C'est quelque chose dans ce genre que nous faisons avec nos fous. Peut-être même est-ce un peu plus raffiné. On leur ôte la vie sans leur donner la mort. " (" Chez les fous " par Albert Londres) (2) " La journée d'un scrutateur " par Italio Calvino :
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