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La mort de Rimbaudles derniers mois de la vie d'Arthur Rimbaud à partir de la correspondance de Rimbaud avec ses proches
Présenté par Michel Chillot
Télégramme de Rimbaud à sa mère Marseille 22 mai 1891 Déposé à 2 h 50 du soir: Aujourd'hui, toi ou Isabelle, venez Marseille par train express. Lundi matin, on ampute ma jambe. Danger mort. Affaires sérieuses régler. Arthur. Hôpital Conception. Répondez. Rimbaud (1) C'est par ce télégramme que Rimbaud avertit les siens, sa mère et sa sœur Isabelle demeurant dans les Ardennes à Roche de son amputation de la jambe droite. Arthur Rimbaud part pour l'Afrique orientale en 1880. Rimbaud se partagera entre Harar, en Éthiopie, et Aden, au Yémen à partir de 1881. Il sera directeur d'un comptoir commercial à Harar pour la firme Bardey frères. "Je vais mal à présent. Du moins, j'ai à la jambe droite des varices qui me font beaucoup souffrir". Il n'arrive pas à dormir: "il y a aujourd'hui quinze nuits que je n'ai pas fermé l'œil une minute, à cause de ces douleurs dans cette maudite jambe". Il précise que la douleur siégeant au niveau de son genou droit ne survient que la nuit. Et il demande à sa mère de lui envoyer des bas pour varices "achète-moi un bas pour varices, pour une jambe longue et sèche (le pied est numéro 41 pour la chaussure)" (2) En réponse, Madame Rimbaud lui envoie des bas et "l'ordonnance et les prescriptions du docteur" en lui recommandant du "repos non pas assis mais couché" (lettre datée du 27 mars 1891) (3). Rimbaud n'arrive plus à se lever de son lit, sa jambe étant devenue totalement raide. "Voyant toujours augmenter l'enflure ... et la douleur dans l'articulation" (lettre à sa mère du 30 avril) (4) il décide de quitter le Harar. La caravane se met en route le mardi 7 avril à 6 heures du matin. Rimbaud est transporté sur une civière par treize hommes. La traversée du désert, trois cents kilomètres en une quinzaine de jours pour atteindre le port de Zeilah, est pénible "Inutile de vous dire quelles horribles souffrances j'ai subies en route. Je n'ai jamais pu faire un pas hors de ma civière; mon genou gonflait à vue d'oeil, et la douleur augmentait continuellement". Après une traversée en mer de trois jours, Rimbaud arrive à Aden et se rend à l'hôpital européen. Il consulte un médecin anglais qui "a crié que c'est une synovite arrivée à un point très dangereux, par suite du manque de soins et de la fatigue". L'amputation est d'emblée envisagée mais le médecin anglais décide de se donner un peu de temps. Rien n'y fait. Pendant son hospitalisation, Rimbaud tente de régler ses comptes avant de "venir me traiter en France". Et de conclure "Hélas! que notre vie est misérable" Treize jours de traversée et de douleurs sur le bateau des Messageries Maritimes pour arriver à Marseille. Il entre à l'hôpital de la Conception et paye "dix francs par jour, docteur compris". La jambe droite est "devenue énorme et ressemble à une énorme citrouille" (lettre de Rimbaud à sa mère et sa sœur du jeudi 21 mai 1891) (5). "Que je suis donc malheureux!" Suit le télégramme annonçant l'amputation pour cette tumeur cancéreuse du genou. La réponse de sa mère ne se fait pas attendre "je pars. Arriverai demain soir. Courage et patience" (télégramme du 22 mai à 6 heures 35 du soir) (6) Six jours après son amputation, Rimbaud confie dans une lettre adressée au gouverneur du Harar son intention d'y retourner dans quelques mois (lettre du 30 mai à son excellence Le Ras Mékonène) (7). Madame Rimbaud repartira pour les Ardennes le mardi 9 juin, départ prématuré qui affecte Rimbaud, "j'étais très faché quand maman m'a quitté, je n'en comprenais pas la cause" (lettre du 17 juin à sa sœur Isabelle) (8). Rimbaud souffre "d'une forte névralgie à place de la jambe coupée, c'est à dire au morceau qui reste" (8). Rimbaud sombre dans le désespoir, "je ne fais que pleurer jour et nuit, je suis un homme mort, je suis estropié pour toute ma vie" (lettre du 23 juin à sa sœur Isabelle) (9) et "enfin, notre vie est une misère, une misère sans fin! Pourquoi donc existons-nous?" (9) Nouveau souci pour Rimbaud qui craint d'être classé insoumis. Arthur n'a pas fait son service mais son statut d'employé à l'étranger pour une entreprise française l'en dispensait. Il demande à sa sœur Isabelle de tirer cette situation au clair car "la prison après ce que je viens de souffrir, il vaudrait mieux la mort" (lettre du 24 juin à Isabelle) (10) Rimbaud continue de souffrir de son moignon. Il essaie de marcher avec des béquilles mais "je sens déséquilibré", "ma jambe est coupée très haut, et il m'est difficile de garder l'équilibre" (10). Il se sent toujours aussi seul "en France, hors de vous, je n'ai ni amis, ni connaissance, ni personne" (10) et pense toujours retourner "là-bas" (10). Le 29 juin, Rimbaud annonce à sa sœur Isabelle la cicatrisation de sa plaie et désire commander une jambe de bois, "on y fourre le moignon (le reste de la jambe) rembourré avec du coton, et on s'avance avec une canne" (lettre du 29 juin à sa sœur Isabelle) (11). Le 8 juillet, Isabelle lui annonce par lettre que sa situation militaire est arrangée: "Le nommé Rimbaud, J.-N. Arthur, est en Arabie depuis le 16 janvier 1882; en conséquence, sa situation militaire est légale; il n'a pas à se préoccuper de sa période d'instruction, il est en sursis renouvelable jusqu'à sa rentrée en France" Mézières le 7 juillet 1891 Le commandant de Recrutement: Bertaux (lettre d'Isabelle à son frère du 8 juillet) (12) L'état de Rimbaud reste précaire: il s'est abîmé le moignon en essayant sa jambe de bois et n'arrive pas à se déplacer avec ses béquilles, "ma vie est passée, je ne suis plus qu'un tronçon immobile" (lettre du 10 juillet à Isabelle) (13). Il se plaint de ne plus voir de médecin, "parce que, pour le médecin, il suffit que la plaie soit cicatrisée pour qu'il vous lâche. Il vous dit que vous êtes guéri" (13) Des douleurs apparaissent dans le bras, l'épaule droite et la jambe gauche. Rimbaud s'en plaint à sa sœur Isabelle dans ses lettres du 15 (14) et 20 juillet (15). Rimbaud prend la décision de se rendre dans les Ardennes. Il arrive à Roche le 23 juillet. Il sera réhospitalisé à Marseille le 23 août accompagné de sa sœur. Les rapports avec la mère restent toujours aussi froids "est-ce que nous serions devenus antipathiques au point que tu ne veuilles plus nous écrire ni répondre à mes questions?" (lettre d'Isabelle à sa mère le mardi 22 septembre) (16). Isabelle connaît l'état de santé de son frère "c'est un pauvre garçon (Arthur) qui s'en va petit à petit; sa vie est une question de temps, quelques mois peut-être, à moins qu'il ne survienne, ce qui pourrait arriver d'un jour à l'autre, quelque complication foudroyante; quant à guérir point n'est besoin d'espérer, il ne guérira pas; sa maladie est une propagation par la moelle des os de l'affection cancéreuse qui a déterminé l'amputation de la jambe." (16). La description que fait Isabelle de son frère est pathétique: "ses douleurs ne cessent pas ni sa paralysie des bras; il est très maigre; ses yeux sont enfoncés et cerclés de noir; il a souvent mal à la tête" (16) puis "on le traite comme un condamné à mort auquel on ne refuse rien, mais toutes ces complaisances sont en pure perte pour lui, car il n'accepte jamais toutes les petites gâteries qu'on lui offre" (16). Le 4 octobre, Rimbaud commence à délirer. Il n'a plus quitté le lit depuis 8 jours. Il souffre de constipation et de rétention d'urine, probable effet secondaire de la morphine qu'il reçoit. Isabelle note le 4 octobre qu'Arthur regarde le soleil par la fenêtre, "j'irai sous la terre, me dit-il, et toi tu marcheras dans le soleil" (notes d'Isabelle du dimanche 4 octobre) (17). Tu marcheras dans le soleil. L'unique phrase qui renvoie au Rimbaud poète. On repense à la première strophe de L'Éternité:
L'Éternité rencontre pour Rimbaud de l'eau et du feu, de l'horizontal et de la verticale. Le 25 octobre, Rimbaud se confesse au grand soulagement de sa sœur "depuis, il ne blasphème plus jamais; il appelle le Christ en croix, et il prie, oui, il prie, lui!" (lettre d'Isabelle à sa mère du mercredi 28 octobre) (18) S'est-il souvenu du Génie des Illuminations? : "Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité :machine aimée des qualités fatales" Sa maladie évolue à grands pas: "c'est un cancer énorme entre la hanche et le ventre, juste en haut de l'os" (lettre d'Isabelle à sa mère le mercredi 28 octobre) (18). Arthur passe ses derniers jours dans un état onirique, "éveillé, il achève sa vie dans une sorte de rêve continuel" (lettre d'Isabelle à sa mère le mercredi 28 octobre) (18). Rimbaud décède le 10 novembre à 10 heures du matin Références des lettresCorrespondance dans "Rimbaud, Oeuvres complètes édition de la Pléiade Gallimard"
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