Léon Tolstoï
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La mort d'Ivan Ilitch

de Léon Tolstoï(1)

 

présenté par Jean-Michel Bolzinger
Metz le 09.04.2005

 

 

Elie Wiesel relate cette belle formule de Giacometti:

"Mon rêve, c'est de sculpter un buste si petit que je pourrais le mettre dans une boîte d'allumettes qui serait tellement lourde que personne ne parviendrait à la lever". N'est ce pas la même chose pour un livre? Il faudrait que chaque livre soit bref, si vrai et si pur qu'on puisse le faire tenir dans la paume d'une main, dans un regard.(2)

Dans l'immense production de Tolstoï, la nouvelle "La mort d'Ivan Ilitch", n'est assurément pas très loin du rêve de Giagometti tant par sa concision et par son extrême richesse que par les questions de fond qu'elle pose.

 

Un homme vient de mourir.

"Pascovia Fiodororovna Golovine a la douleur d’annoncer à ses parents et amis la mort de son époux bien-aimé, Ivan Ilitch Golovine, conseiller à la Cour d’appel, décédé le 4 février 1882."

Tolstoï va tout simplement nous raconter une histoire 

des plus simples, des plus ordinaires et des plus atroces. 

A 44 ans, Ivan Ilitch  était un notable de la haute bourgeoisie de Saint Petersbourg, magistrat (3), médiocre époux d'une femme qu'il détestait et qui lui rendait bien, père indifférent d'une fille de 16 ans et d'un garçon plus jeune. Ironie du sort, au moment où il atteint l'apogée de son ascension sociale, la maladie apparaît sournoisement sous la forme d'une douleur abdominale et d'un goût étrange dans la bouche. Ainsi commence une longue maladie, une lente agonie dans des souffrances chaque jour plus atroces.

Au fil des pages, Tolstoï nous fait participer à cette aggravation inexorable de la symptomatologie et à la formulation explicite d'un double questionnement:

"était-ce dangereux ou non?"

Mais le médecin voulait ignorer cette question déplacée. Du point de vue du médecin, ce n'était qu'une question inutile et qu'il n'y avait pas lieu 'examiner: il ne s'agissait que de peser des probabilités, -rein flottant, catarrhe chronique, appendicite...

Cette maladie est elle dangereuse ou non?

Je vous ai déjà dit ce que je considérais nécessaire et convenable de vous dire, fit le médecin.

plus tard alors même qu'il est mourrant, le célèbre médecin lui rend visite

Les questions et les réponses s'échangeaient sur un ton si solennel, que la question réelle de vie ou de mort qui seule se posait à Ivan Ilitch, fit de nouveau place à celle du rein et de l'appendice ... 

Alors que le médecin fait ses adieux, Ivan Ilitch les yeux brillants de crainte et d'espoir tente une nouvelle fois sa timide question:

Y a-t-il des chances de guérison? il répondit qu'on ne pouvait rien garantir, mais qu'il y avait des chances.

Pourquoi tout cela?

Ivan Ilitch prend soudain conscience que son existence a été vide de sens:

Et si vraiment ma vie, ma vie consciente ne fut pas ce qu'elle aurait dû être?

Tout ce qui te faisait vivre, tout ce dont tu vis, n'est qu'un mensonge qui te cache la vie et la mort.

Qu'est ce que la vie, qu'est ce que la mort, quel est le sens de la souffrance?

Nulle explication! Les souffrances, la mort... Pourquoi?

Peut être Tolstoï a t'il surtout créé ce personnage avec l'idée d'incarner notre incapacité métaphysique à penser notre propre mort. En écrivant ce livre court, mais percutant il savait

qu'il serait compris par celui qui devait le comprendre.

C'est une chance pour chaque médecin d'avoir accès à une si belle description du ressenti d'un patient en fin de vie, aux multiples non dits. Tolstoï nous offre un retour sur certains comportements qu'il arrive à certains d'entre nous d'adopter, par fatigue, par lâcheté ou par manque de formation continue. Pour être de ceux qui doivent comprendre la profondeur du message de Tolstoï, lisons ce merveilleux livre, si lourd dans sa boîte d'allumettes.

 

 

(1) Né en 1828 dans la haute bourgeoisie russe, Léon Tolstoï fut de ceux qui prirent conscience de la réalité de ce que vivait le peuple. Il fut révolté par la pauvreté, par l'esclavage, par la peine de mort, et plus généralement par l'indifférence à autrui. Il s'indigna de l'hypocrisie du clergé et réalisa très vite que l'État n'était qu'une institution dont les instruments militaires, policiers et judiciaires maintenaient le peuple dans l'esclavage afin de protéger les privilèges des riches. Il poussa la logique jusqu'à distribuer ses terres aux paysans mais sa femme et ses enfants s'y opposèrent, ce qui ne l'empêcha pas de mener personnellement la vie d'un moujik, fabriquant lui-même presque tout ce dont il avait besoin, vêtements, chaussures…

On lui doit deux chefs-d'oeuvre de la littérature russe, 'Anna Karénine' et 'La guerre et la paix'. Mais bien plus qu'un simple auteur de romans et de nouvelles, il fut un intellectuel curieux des autres cultures ainsi qu'un penseur religieux qui a joué un rôle crucial dans le mouvement contestataire en Russie jusqu'à être excommunié par le Saint-Synode en 1901. Il fut comme l'a écrit Gandhi, "le plus grand apôtre de la non-violence" de son époque.

Agé de 82 ans il finit par renoncer à sa vie matérielle et quitte sa famille et sa maison de Poliana avec l'intention de rejoindre le Caucase en train. On le retrouve mort dans une gare de campagne à Astapovo le 21 novembre 1910.

(2) Mémoire à deux voix. François Mitterrand & Elie Wiesel. Ed. Odile Jacob. 1995. p.171

(3) Tolstoï s'est vraisemblablement inspiré de la mort d'Ivan Ilitch Metchikov, procureur près le tribunal de Toula,à l'âge de 40 ans, en 1885.

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